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Dans l'interaction avec le membre d'une secte, pour celui qui n'est pas conscient de l'adhésion de son interlocuteur à un mouvement de ce type, ce n’est pas l'emprise et la manipulation que l'on observe en premier lieu, mais son résultat final et plus particulièrement le malaise qu'il provoque. Un sentiment de dissonance, de décalage, d’artificialité.

« On s’étonne parfois que des scientifiques, des médecins, se laissent embarquer dans des sectes qui brandissent les assertions les plus farfelues. Paradoxalement, les personnes de très bon niveau intellectuel sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont convaincues, du fait de leur rationalité, d’être capables de résister à la suggestion et à la manipulation. » Marie-France Hirigoyen

Il est difficile de définir très précisément cet état. La réaction immédiate est plutôt de le chasser de son esprit, comme si l'interlocuteur aux prises avec cette impression déstabilisante redoutait de devoir en assumer la responsabilité. Le mécanisme de projection à l’œuvre de la part de l'adhérent de la secte est complètement nié et l'on peut même imaginer qu’il n'est plus du tout conscient, dans la plupart des cas, de la logique qu’il tente d’imposer. 

Face à ce malaise, un intellectuel aura tendance à l’attribuer à un manque de rationalité de sa part, esquivant presque instinctivement qu’il puisse provenir du mode opératoire de son interlocuteur.

Or, c'est pourtant bien une manipulation qui vient de se produire dans cette relation de l’adhérent de la secte avec une personne de l'extérieur. Cette interaction est en réalité une confrontation, impliquant une gestion fort différente de celle, parfaitement intégrée, qui existe au sein du mouvement entre les adhérents, mobilisant instantanément, dans le cas d'espèce, les mécanismes spécifiques de rejet et d'autodéfense. L’intellectuel peine à imaginer une vision aussi binaire et réductrice, étant habituellement ouvert à l’échange d’informations ainsi qu’à une communication privilégiant diverses hypothèses parfois contradictoires.

L'adepte d'une secte a, de son côté, une vision très manichéenne de la réalité. Il y a d’un côté ceux qui sont sauvés et qui appartiennent à la secte et ceux qui sont damnés qui se trouvent au-dehors. Il peut au premier abord sembler très peu probable qu’il puisse convaincre une personne réfléchie d’une réalité aussi simpliste. Cependant, il a appris à gérer, parfois très tôt dans son parcours éducatif, ce genre de situation polarisée. Non seulement ce conflit avec le monde extérieur qui paraît si prégnant, mais avant tout sa propre condition d’enfant manipulé et conditionné pour ressembler aux autres membres. Toute cette période appartient désormais au passé, car l’enfant brimé s’est transformé au point de devenir un membre sur lequel on peut compter. Il en tire d'ailleurs un sentiment de supériorité indéniable, lorsque ses prédictions se réalisent.  En d'autres termes, quand, lors de ses relations avec ceux du dehors, il fait la démonstration, non seulement qu'il est parvenu à maîtriser la crainte que lui inspirent ses ennemis, mais aussi qu'il est devenu capable d'en tirer des avantages substantiels, autant d'un point de vue psychologique que matériel.

L'emprise subie à l'intérieur du mouvement se voit projetée sur un mode actif vers l'extérieur et ce besoin d'externaliser la problématique relationnelle est un facteur équilibrant pour le représentant de la secte aussi bien que pour le mouvement qu'il représente.  C'est un fait que mieux un groupe sectaire régit ses interactions avec le monde extérieur, à la condition de prévenir le danger de sa dissolution par la défection des membres, mieux, il a des raisons de se vanter de la pérennité de son action ainsi que de la réussite aussi matérielle que psychologique de sa mission.  Dans certains cas, c'est même cette vie sociale de la secte qui justifie à ses yeux, de même que pour ceux du dehors, que l'appellation secte est dénuée de raison d'être. 

Pourtant, derrière les portes closes des adhérents subsiste l'atmosphère sectaire comme au premier jour. Les méthodes éducatives fondées sur les châtiments corporels, la violence psychologique et la délation n'ont pas évolué d'une virgule. 

Si la secte dans son ensemble et son instance dirigeante semblent parfaitement assimiler ces contradictions profondes, qu'en est-il de l'adhérent ? Parvient-il à rendre plausible cette dissimulation au quotidien et les interdits que le mouvement dont il est membre perpétue ? 

Une des caractéristiques de l'emprise est d'altérer la capacité de réflexion ainsi que de jugement du membre.  Il est totalement encadré et n'a plus la liberté de penser par lui-même. On lui a proposé une clé d'interprétation du monde qui le dispense de s'interroger. Les certitudes imposées sont devenues des axiomes premiers desquels dérivent toutes les actions entreprises autant au niveau individuel que collectif. D'une certaine manière, l'adhérent est devenu un assisté auquel on a offert une marche à suivre sécurisante, éliminant tout intérêt pour ce qui aurait pu être autrement.

L'influence exercée sur ceux du dehors procède du même mode d'emploi visant à effacer toute alternative. C'est un processus de décervelage.  Ainsi, la boucle est bouclée. D'élève, l'adepte sous emprise est devenu manipulateur. Sa plus belle récompense, celle qui montre explicitement que la méthode marche, est de convertir un autre esprit ingénu.