La peur est vraiment l’arme fatale à disposition des dirigeants de la secte. Cette peur est multiforme. Elle se déclenche comme un signal d'alerte, chaque fois qu'un danger imaginaire se présente. La peur n'est par ailleurs jamais amoindrie ou dissipée. Elle doit en permanence animer l'adepte, car elle est paradoxalement nécessaire à sa survie en tant que simple exécutant. L’ironie du sort est que l'adepte se voit tranquillisé par ceux-là mêmes qui ont produit sa peur.
« Mais, rapidement s’installe la peur, entretenue par la secte, la peur du monde extérieur qui est diabolisé, mais aussi la peur d’être rejeté par le groupe s’il n’entre pas dans le moule. » Jokthan Guivarch et Daniel Glezer
L'interprétation manichéenne du monde produit la peur qui elle-même perpétue la vision dichotomique. C'est un vrai cercle vicieux qui veut que la peur soit soignée par la peur.
La mauvaise gestion de la peur conduit à l'insensibilité pour ce qui est perçu comme différent, donc menaçant, et à l'isolation, au retrait au sein du groupe quand les appuis externes font défaut. Le besoin de convaincre et de faire des adeptes recrutés parmi le monde honni ne résout fondamentalement pas l'équation de la peur. Car il n'est pas possible de convertir tout le monde, ce qui éliminerait certainement la peur. L'isolation n'est par ailleurs jamais ressentie comme de la solitude, bien qu'elle soit en réalité une addition de personnes seules qui, livrées à elles-mêmes, se serrent les coudes dans un réflexe de survie. Elles se réconfortent ou se tiennent chaud mutuellement, comme des volatiles enfermés dans un poulailler. Le groupe est bien déifié pour faire reculer la peur, mais il ne fait que la perpétuer sous ses multiples formes.
L’insensibilité
« Un besoin élevé de clôture cognitive permettant d’aboutir à une interprétation unifiée du monde sans contradiction interne. » Vassilis Saroglou
L’indifférence de l'adepte pour les usages du monde extérieur est souvent interprétée comme une absence d'empathie. Cette impression se trouve renforcée dans une relation interpersonnelle où le discours de la secte ne prend pas. Dans ce cas, l'adepte se trouve renvoyé à son conflit originel. Il ne vaut en définitive que par la valeur que lui attribue le groupe. Sans la permanence de ce lien, il n'est plus rien. Par conséquent, il n’a plus aucune raison de plaire et plus aucune volonté de tisser un lien qui le conduit sur un territoire inconnu. L'insensibilité est donc le résultat d'une fermeture assumée au monde.
L'isolation
« Le groupe constitue un isolat culturel fermé aux influences extérieures et peu évolutif, ne se référant qu'à lui-même dans différents domaines (croyances, connaissances, règles de vie, mœurs, santé, éthique, rituels, vocabulaire spécifique). Cette autoréférence exclusive est importante pour la pérennité du groupe, elle entraîne la nécessité de coupures. » Michel Monroy
Le vrai partage avec l’autre se réalise à partir du moment où il est accepté comme un être indépendant, capable de générer une valeur additionnelle. Si le rapport souhaité est prédéfini, il y a tout au plus échange de services, dans un cadre établi. L’isolation du sujet est d’abord nécessaire dans la phase de domestication. Pour ce faire, il est coupé affectivement de ses parents qui généralement se préoccupent bien plus de la destinée du groupe que de celle de leurs propres enfants. La nécessité de coupures s'impose précocement dans les familles appartenant à une secte. C'est certes une façon de circonvenir la peur représentée par des intrus qui infiltrent la secte et menacent sa survie. Malheureusement, les coupures n'arrangent rien d'un point de vue social puisque l'adhérent se sent livré à lui-même une fois coupé de sa base. Il a beau s'enorgueillir de l'instruction supérieure, à ses yeux, que la secte lui a dispensée, il n'en demeure pas moins que son sentiment d'étrangeté est opprimant au milieu d'un monde différent. Si le recours à la coupure permet d'éviter l'infiltration d'une présence étrangère, sa finalité première est bien d'éradiquer la peur.
La peur, aussi bien de l'autre que de la réalité profonde de l'adhérent, reléguée aux oubliettes, est omniprésente dans un milieu sectaire.