« Ils sont en recherche de la coproduction qui serait nécessaire pour donner corps et réalité à la fable mégalomaniaque qu’ils entretiennent au sujet d’eux-mêmes. » Andrée Bauduin
Comme c'est souvent le cas dans les livres de psychanalystes consacrés à l'étude d'une pathologie particulière, en l'occurrence l'imposture, le résultat est parfois inégal. En effet, certaines observations sont lumineuses alors que d'autres n’ont franchement qu’une utilité très limitée, tout au moins pour ceux qui ne sont pas versés dans le jargon psychanalytique, qui comme nous le savons laisse la part belle à des spéculations intellectuelles centrées sur le complexe d’Œdipe. Les remarques de cette nature, habituellement péremptoires, censées couronner une réflexion, n'apportent cependant rien à la compréhension du sujet, et même dans certains cas invalident d'une certaine manière ce qui a été précédemment dit de manière judicieuse.
Fort heureusement, lorsque l'on entre dans le vif du sujet, cet aspect un peu rebutant du livre d’Andrée Bauduin, cède sa place à des considérations plus sérieuses.
Commençons notre critique par quelques approximations que l'auteur assène en préambule, toutes tirées de son expérience clinique.
Selon Andrée Bauduin l'imposteur est généralement courtois et intelligent, ce que l’on accepte volontiers, bien que le mot « intelligent » ne soit peut-être pas réellement le terme qui convient, « rusé » semble, en effet, plus approprié. L’auteur poursuit par une généralisation hâtive qui ne reflète probablement pas la réalité en affirmant que ce même imposteur « exhibe sans ostentation particulière la possession d’un ou de plusieurs diplômes de haut niveau, incluant souvent la psychologie ou la philosophie ». Cette observation laisse pour le moins dubitatif. Plus étonnante est encore la suite, où l'on apprend que le patient imposteur ne maintient pas ses rendez-vous, ne paie pas ses séances, et entre en compétition avec le thérapeute en voulant ouvrir son propre cabinet, alors qu'il n'en a manifestement pas les compétences. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi un tel individu, qui visiblement ne souffre pas et n'a pas besoin d'aide, contacte un psychanalyste.
La réponse de l'auteur ne se fait pas attendre : « Ils sont en recherche de la coproduction qui serait nécessaire pour donner corps et réalité à la fable mégalomaniaque qu’ils entretiennent au sujet d’eux-mêmes. »
Cette interprétation est à première vue parfaitement plausible, car elle cadre bien avec l'image que l'on se fait d'un mystificateur. Mais, pourquoi donc notre bougre irait-il frapper à la porte de quelqu'un, dont le métier est d'analyser les autres, donc susceptible, mieux que quiconque, de le démasquer ? Cela reste un vrai mystère ; apparemment aussi pour l'auteur qui fait l'aveu suivant, plongeant encore plus le lecteur dans la confusion. « Il est bien possible que, dans ce portrait succinct, je mélange les imposteurs et les pervers (sexuels et narcissiques). » Visiblement, l'auteur aborde le sujet de l'imposture avec des idées préconçues qui l'empêchent de mettre à exécution le besoin de catégorisation, si impérieux chez bon nombre de psychologues, qui finalement résulte être le plus grand empêchement à la compréhension d'un phénomène.
Sans transition logique, l'auteur aborde dans la foulée le syndrome de l'imposteur, créant ainsi un amalgame entre deux états forts différents, puisque le névrosé qui s’imagine être un imposteur vit dans une culpabilité permanente, qu’il endosse sans raison, ce qui l’inhibe dans son action, alors que le vrai imposteur, se caractérise au contraire par une absence totale de scrupules, conduisant à un passage à l’acte fort développé. Il semble donc inapproprié de mettre sur le même plan des personnalités que tout sépare.
D'ailleurs, quelques lignes plus loin, l'auteur corrige le tir, en faisant une remarque de la plus haute importance : le vrai imposteur manipule son interlocuteur dans un but malveillant en tentant « de faire passer pour culpabilité et expiation ce qui est satisfaction ». La forme de cette satisfaction n'importe guère lorsque l'on comprend qu'elle se réalise grâce à un subterfuge, en l'occurrence, comme le souligne l'auteur : « laisser croire à la présence d’un Surmoi œdipien ». Ce stratagème premier, qui consiste à faire semblant de s'en remettre à une autorité supérieure, est effectivement la marque de fabrique de l'imposteur, qui d'entrée de jeu va fournir un alibi parfaitement recevable à tout interlocuteur qui se présente à lui.
Forte de son expérience clinique, Andrée Bauduin cerne très bien les motivations de la démarche de l'imposteur, qui s'invente un univers parallèle, pour combler sa faille identitaire originelle.
« C’est le refuge dans une identité illusoire qui permet au sujet d’assurer, non sans un certain triomphe sur l’objet, sa cohérence. »
Ce choix est plus ou moins irréversible, puisque la mission que l'imposteur se donne : « se prendre, se faire passer pour un objet total, alors qu’on est essentiellement captif d’une identification à un objet partiel » nécessite un effort constant et ne permet aucun relâchement, aucune possibilité de désamorcer l'engrenage fatal qui conduit, il va sans dire, à la réalisation de l'imposture aux dépens d'autrui, mais qui scelle également le destin de l’imposteur.
En mettant en évidence la dépendance des imposteurs à leurs imagos parentaux, l'auteur n'excuse pas pour autant leur perversité, qui s'exerce dans sa forme sociale, à travers la reconnaissance d'un public « qui entérine leur mensonge ».
LIVRE : Psychanalyse de l'imposture - Andrée Bauduin